Project 07

Boris Beaucarne & Raymond Pettibon

Pour son septième projet, OV est heureux de vous présenter sa nouvelle exposition mettant en relation des dessins de l’artiste belge Boris Beaucarne (Belgium, 1970)  avec une selection d’oeuvre de l’emblématique Raymond Pettibon (USA, 1957).


Viriles.

Raymond Pettibon de L.A. a une passerelle qui va des mathématiques aux dessins jusqu’à Bruxelles où réside Boris Beaucarne, ordonnancier des publicités désactivées. 

Une pochette de Black Flag, le vinyle posé sur une platine hight tech d’un salon Ixellois, l’énergie polymérise. 

Une baignade simultanée dans l’encre se profile. Entre ergots et plumes, une bourrasque en apnée annonce des ectoplasmes transportables. Le bleu varie du pacifique à la mer du nord. Requin marteau casse moule. Surfeurs sur génoise, slogans meringués. 

Le cabinet d’amateur se décharge en sourdine avec le bouton de volume activant l’effet loupe. Côte à côte, les deux papillons sont en bon équilibre. L’étourdis Jerry Lewis, en faisant son office dans The Ladys Man* rendra la liberté aux deux compagnons effectuant un ballet temporaire dans l’espace pour le plaisir. L’hyperbolique.

Texte de François Curlet


Esthétique du détritus

Les ruines et les restes, les déchets et les rebuts, les reliquats et les détritus : le présent ressemble à une immense déchetterie, dont il ne serait rien qui ne pourrait être excepté – rien qui ne pourrait réclamer relever de la gloire de l’être. Notre monde n’est fait que de choses existant à moitié, d’êtres plus ou moins écroulés et de traces résistant à peine à l’effacement ; c’est de ce monde, en train de s’abîmer dans le temps, que proviennent les œuvres de Boris Beaucarne. Ce sont des dessins au stylo-bille, le plus banal et le plus pauvre des instruments, qui se présentent comme l’archive mi-grinçante, mi-rigolarde, de la disparition de tout, de la relégation de tout au rang de détritus. Marques célèbres, mascottes venues du passé, pin-ups d’un autre âge, verres à cocktails déjà vides, maisons de dessin animé, recouverts d’un griffonnage insensé, rendu souvent fantomatique par le recours au papier-carbone. Ce ne sont pas des dessins qui tentent de dire le monde, d’en proposer une traversée fascinée ou un procès critique ; ce sont des dessins qui tentent de capter le processus par lequel tout ce qui est disparaît pour devenir souvenir, fiche ou dossier. Boris Groys a un jour dit que la pensée n’était possible que depuis le milieu de la mort : penser, c’est entamer un dialogue impossible avec une série d’individus dont il ne reste plus que le cadavre – et quelques livres épuisés. Il en va de même de l’art : à l’âge de l’archive généralisée, dessiner n’a de sens qu’en tant que processus d’enregistrement de l’autodestruction de l’archive – de son irrépressible devenir-poussière, et avec elle de tout ce qu’elle recèle. Pourquoi ? Tout simplement parce que telle est la condition du présent : l’âge de l’archive est aussi l’âge de l’évanouissement du solide, de l’évaporation et de l’écroulement de ce qui pouvait prétendre aux prestiges de l’être. L’art de Beaucarne est donc l’art du désêtre de la culture qui vient de passer – des traces du modernisme et de la société de consommation, de l’érotisme de masse et des architectures confortables de l’époque de l’Etat-Providence. C’est un art post-apocalyptique, un art de survivant qui voit ses souvenirs le lâcher les uns derrière les autres – mais aussi l’art d’un artiste qui sait très bien qu’en dernière instance, comme le disait Daniel Arasse, on n’y voit rien. La seule chose qu’on voit, précisément, ce sont les déchets du voir, le résultat de la disparition d’un monde et de notre capacité à le regarder d’une autre manière que sous l’angle de la nostalgie pleurnicharde ou du regret plaintif. Beaucarne, pour sa part, est trop lucide pour se laisser aller à l’un comme à l’autre : il préfère accumuler et biffer, prélevant dans le dépotoir du passé proche de quoi en reconstruire une carte postale dérisoire et hilarante. Il ne pouvait trouver meilleur interlocuteur que Raymond Pettibon, lui dont toute la pratique artistique s’est construite dans la séparation progressive avec l’univers qui l’avait vu débuter : l’univers du punk hardcore américain du début des années 1980. Au « no future » du punk anglais, Pettibon n’a jamais cessé de répondre par un « no past » au pouvoir corrosif bien plus important : une dénégation du poids du passé au nom de sa bêtise et de sa vacuité, de son incapacité à produire quoi que ce soit. La friche du passé, chez Pettibon, est la condition de possibilité d’autre chose, d’une autre manière de regarder (comme il le dit dans un de ses dessins) qui puisse rédimer l’impossibilité de voir dans la possibilité d’une vie. Mais quelle pourrait être cette vie, dès lors qu’elle est condamnée à errer parmi les ruines abandonnées de la culture qui l’a rendue possible – à l’instar du personnage de « Stalker » d’Andrei Tarkovski, perdu dans une « zona » redevenue friche? A cette interrogation, Pettibon répond par la multiplication de corps anonymes, d’accessoires à peine esquissés ou de commentaires acides, qui fonctionnent comme une version ironique des phylactères qu’on trouve chez Roy Lichtenstein. Dans un de ses dessins, un Jésus sans visage plonge d’un immeuble, entouré d’exclamations excitées ; dans un autre, une femme aux seins nus et au visage fermé regarde en direction de l’artiste, sous une légende stipulant : « Un de ces nouveaux appareils photos Polaroïd ». Qu’il s’agisse du Christ ou des gadgets techniques du présent, des verres à Martini ou des chromos de nature morte, les œuvres de Pettibon sont les signes faibles de ce qui reste de possibilité de vie lorsque tout est devenu rebut, reliquat. Et peut-être est-ce là le point de contact majeur entre ses travaux et ceux de Beaucarne : ils se posent la question de la vie au milieu des déchets, lorsque l’art lui-même devient un déchet parmi d’autres, une ruine parmi les ruines. Le dépotoir du capitalisme est le monde dans lequel nous tentons de vivre, rajoutant toujours davantage de détritus à la montagne sur laquelle nous trônons ; il faut apprendre à les regarder, du fond de notre aveuglement.

Texte de Laurent de Sutter



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1.

Raymond Pettibon

Ov P07 Raymond Pettibon Paper
  • No Title (It is no...), 1999
  • Pen and ink on paper
  • 25.4 x 16.8 cm (10 x 6 5/8 inches)